Le redéveloppement de Griffintown fait l’unanimité. Là où le bât blesse, pour les opposants au mégaprojet proposé par le promoteur Devimco, et résolument entériné par la Ville de Montréal, c’est dans le type de redéveloppement envisagé. Car il s’agit ni plus ni moins que de l’appropriation massive d’un quartier au détriment de ses commerçants et propriétaires, pour y bâtir un centre commercial équivalent à 30 étages de la Place Ville-Marie, et ce, à deux pas du centre-ville.
Le promoteur prévoit surmonter de hautes tours d’habitations cette énorme emprise commerciale. Quelques parcelles surtout résidentielles sont aussi prévues, en partie sur d’actuels parcs publics. Dix-neuf des bâtiments patrimoniaux du quartier seraient préservés, mais risqueraient fort de disparaître dans l’ombre démesurée de leurs nouveaux voisins. Presque tout le reste serait démoli.
Le Plan particulier d’urbanisme (PPU) créé par la ville pour encadrer le mégaprojet énonce d’admirables principes, malheureusement souvent démentis par les mesures spécifiques proposées. Les surhauteurs prévues sont particulièrement choquantes aux yeux des urbanistes, des architectes, du Conseil du patrimoine, des nombreux amoureux de Griffintown … et des occupants offusqués de ce quartier industriel historique de 3 étages. Les plus hauts bâtiments actuels sont les résidences pour étudiants de l’ÉTS, à 22 mètres (7 étages). Le PPU limiterait à 25 m les nouveaux bâtiments en bord de canal, mais les blocs résidentiels autour du parc Sainte-Anne s’élèveraient à 44 m et le gros du projet à 60 m, la hauteur du Complexe Desjardins.
Les vertigineux 80 m prévus au bassin Peel seraient justifiés selon le PPU par la hauteur voisine de l’élévateur à grain no. 5 et de l’usine Five Roses. La taille de ces bâtiments légendaires est égale à celle qu’ils occupent dans la mémoire collective des montréalais. Devons-nous pour autant permettre à de nouveaux hôtels de luxe de venir bloquer la vue sur le fleuve à partir de la montagne?
La densité, nous répète t’on, est nécessaire. Mais là n’est pas le problème : la capitale irlandaise de Dublin compte 1000 habitants de plus que Montréal au mille carré, dans des immeubles de 6 étages et notre propre plateau Mont-Royal prouve que la densité de population est possible à l’échelle humaine … sauf, évidemment, si elle doit surmonter un espace commercial équivalent au centre Rockland.
Plusieurs commerçants et propriétaires résidant à Griffintown souhaitent participer au redéveloppement de leur quartier et sont outrés d’apprendre que l’administration municipale est prête à les exproprier pour permettre à Devimco de faire main basse sur presque tout le périmètre. Certaines expropriations doivent permettre l’élargissement de plusieurs rues, certes, mais les conseillers de la ville ne se gênent pas pour expliquer que la loi permet à la ville d’exproprier en faveur d’un promoteur, s’il est propriétaire ou détient des promesses d’achat pour les 2/3 de la superficie visée par son projet. Des bâtiments commerciaux d’architecture intéressante (au bord du canal, le nouvel immeuble Cornell /La Cache soigneusement reconstruit identique à l’ancien, et magnifiquement paysagé, par exemple) doivent être rasés pour laisser place aux tours du promoteur. Voilà un dangereux précédent : si ce PPU passe tel quel, aucun quartier, aucun propriétaire ne sera plus jamais en sécurité.
Devimco jouirait d’un avantage considérable en acquérant les propriétés avant le rezonage à vocation mixte, car les prix risquent de doubler dès la mise en vigueur du nouveau zonage. De plus, le projet, dans sa structure actuelle, infligerait à la Ville de Montréal des coûts astronomiques reliés aux infrastructures: eau, gaz, électricité, élargissement de rues, stationnements souterrains, etc. Sans compter les coûts d’une ligne de tramway.
Le mégaprojet nous promet, après des années de travaux monstres et d’heures de pointe cauchemardesques, un Griffintown encombré d’acheteurs en auto, de camions de livraison et d’entrées vers les quelques 6300 espaces de stationnement souterrains; et surtout, des occupants cloîtrés dans leur tour et des rues vides du trafic piétonnier que créent les quartiers urbains à l’échelle plus humaine. De ce Griffintown, les anciens habitants et commerçants, mémoire vive du quartier, auraient été honteusement chassés.
Il y a quelque chose d’immoral à démolir presque tout un quartier, historique en plus, pour y élever un centre commercial. Que nous ayons ou non besoin d’un centre d’achat de plus sur l’île de Montréal, Griffintown est mal choisi pour ce genre de projet. Si Devimco, ou tout autre promoteur, souhaite justifier par les fuites commerciales la construction d’un centre d’achat sur l’île, eh bien qu’ils trouvent un site industriel vacant ou déjà ciblé pour la démolition, au lieu d’empêcher un vrai quartier de revivre et de se redévelopper progressivement à une échelle qui s’accorde avec celle de ses voisins de la Petite-Bourgogne et de la Pointe St-Charles : une échelle humaine.
Car les espaces vides ne manquent pas dans Griffintown, et les promoteurs n’attendent que le rezonage tant promis pour présenter des projets. Ils sont d’ailleurs plutôt mécontents de voir un seul promoteur s’attribuer tout le gâteau.
Imaginons une alternative plus séduisante. On a beaucoup parlé du caractère historique du quartier. Il se situe dans le prolongement du Vieux Montréal, le long du canal de Lachine si cher aux promeneurs montréalais, et il abrite les dernières écuries de Montréal. On voit passer des calèches à l’année dans Griffintown. De plus, la communauté irlandaise est très attachée au quartier, berceau de son installation à Montréal. Ces caractéristiques appellent un tout autre style de redéveloppement. Pourquoi ne pas s’en inspirer?
Nous souhaitons tous le prestige de ce quartier charnière, porte d’entrée à Montréal. Au lieu de le démolir en préservant quelques bâtiments patrimoniaux, pourquoi ne pas utiliser, et même valoriser, son tissu urbain datant de la révolution industrielle? Griffintown pourrait devenir le Quartier des calèches, des promeneurs… des artistes aussi, puisqu’ils sont déjà nombreux à avoir des ateliers dans le coin. On pourrait y voir un poste de calèches en boucle avec le Vieux-Montréal; un centre culturel ou un musée évoquant l’ancienne population immigrante; des boutiques, des galeries d’art, des cafés-terrasses le long du canal. Une forte densité résidentielle, bien sûr, incluant ateliers d’artistes et logements d’étudiants, ainsi que les logements sociaux prévus par le mégaprojet. Le tramway tant annoncé s’insérerait fort bien dans cette prolongation de charme du Vieux-Montréal : un quartier vibrant dont l’architecture respectueuse de ses voisins évoquerait le passé autant que l’avenir, un quartier accueillant aux touristes comme aux montréalais, fier de ses habitants de longue date, un quartier où il ferait bon vivre.
Hélène Dansereau, Grace Barrasso, Judith Bauer Gobeil, Chris Erb, Ronald Diamond, Christopher Gobeil, AJ Kandy, Maggie Kathwaroon, Ber Lazarus, Huguette Leonard, Leo Leonard, Robert Mellin, Mark Poddubiuk, Jocelyn Rochette, Gustavo Rodriguez, Mélissa Simard, Marc Valiquette, Sarah Watson.
Comité pour le sain redéveloppement de Griffintown
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